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Recréer du lien social en EHPAD durant le COVID : la psychologue Camille Blanquart l’a fait.Grand-âge
Pendant la crise du coronavirus, on a beaucoup parlé de vulnérabilité et de fragilité des résidents en EHPAD. Mais que vivaient-ils vraiment ? Camille Blanquart, psychologue clinicienne en établissement, est venue à la rencontre des résidents, en participant à une étude sur leur vécu face aux restrictions sanitaires. “J’ai été très sensible à leur isolement. Ce qu’ils ont déploré le plus, c’était ce manque de lien social”. En plein cœur d’une cinquième vague de Covid, que pouvons-nous faire pour améliorer la qualité de vie de nos aînés ? Découvrez comment cette psychologue engagée auprès des seniors a réussi à soulager l’anxiété et la dépression de ses résidents et à raviver le lien social au sein de son établissement.
Les personnes âgées qui arrivent en EHPAD ont souvent des pathologies neuro dégénératives, des troubles cognitifs et des troubles du comportement associés. En plus de cela, depuis le premier confinement, les professionnels de santé ont observé des syndromes de glissement chez les seniors, notamment une détérioration de la mémoire et une diminution de la stimulation cognitive et motrice.
Psychologue clinicienne à l’EHPAD Korian Parc de Mougins et bien consciente de toutes les problématiques rencontrées par nos aînés en établissement, Camille Blanquart œuvre au quotidien pour favoriser leur bien-être. C’est après une expérience de bénévolat auprès de personnes âgées isolées et plus de 3 ans d’animation en EHPAD qu'elle se redirige vers le public senior grâce à un master en psychologie intégrative du vieillissement. Selon elle, pour soulager au mieux les symptômes et améliorer la qualité de vie des résidents, les soins, animations et ateliers thérapeutiques qu’on leur propose en établissement doivent être personnalisés et prendre en compte l’histoire de vie de la personne.
Pour ce faire, l’EHPAD Korian Parc de Mougins propose plusieurs thérapies non médicamenteuses (TNM) à ses résidents. “Dans l’établissement, on ne cherche pas à seulement répondre à leurs besoins primaires, on est là pour leur offrir autre chose, faire en sorte qu’ils soient heureux. C’est pour cela que nous sommes dans cette démarche de déploiement des TNM dans la structure.” Le directeur d’appui, Loïc Boucraut, est le premier investi dans cette dynamique de déploiement de ces nouvelles thérapies.
Plus l’offre de thérapies non médicamenteuses est large, plus il est facile de répondre au mieux aux besoins de chaque résident. Pour faire son choix, Camille Blanquart, en collaboration avec le médecin coordonnateur Christian Schnepf et l’ergothérapeute Aline Nerrière, se base toujours sur l’histoire de vie du résident, ses centres d’intérêts, ses passions et ses capacités préservées afin de déterminer quelle thérapie lui convient le mieux. Elle prend également en compte les études scientifiques et les indications thérapeutiques afin de cibler au mieux chaque pathologie, en ayant pour objectif de diminuer la consommation médicamenteuse et faire en sorte que l’état psychique du résident s’améliore.
Depuis août, une nouvelle thérapie non médicamenteuse a été mise en place au sein de l'EHPAD : les ateliers de réalité virtuelle. Parmi la centaine de résidents, plusieurs en ont déjà bénéficié. Camille Blanquart cible différentes pathologies qui peuvent être traitées grâce à cette nouvelle technologie. Par groupe de trois, les résidents ayant des troubles similaires participent à deux ateliers par semaine.
Un premier protocole a été réalisé auprès de trois résidents souffrant de dépression. Les résultats sont prometteurs : les séances de réalité virtuelle ont fait émerger des émotions positives chez les trois résidents. Leurs verbalisations ont révélé un sentiment de bien-être : “j'ai les pieds dans l'eau”, “il y a toutes les couleurs, c'est formidable”. Ces ateliers ont aussi permis aux résidents de tisser du lien social et de se remémorer des souvenirs positifs : “C'était bien cette séance, cela m'a rappelé des souvenirs de neige quand je vivais dans le Piémont.”, “C'était mon voyage de noces en 1964. Je suis allée une dizaine de fois à Venise. J'allais avec ma femme aussi aux cures thermales près de Padoue". La réalité virtuelle devient alors un véritable outil de réminiscence.
Une évaluation quantitative à également été réalisée grâce à la GDS 15, un test de dépistage du risque de dépression, avant la 1ère séance, à la fin de la 4ème séance et à la fin des 8 séances programmées. Pour une résidente, la passation de la GDS 15 a montré une baisse significative du risque de dépression. Le score est passé de dépression sévère à modérée (score de la résidente: 11-8-6). “J’ai pu observer des retours très intéressants et beaucoup de bien-être et d’émotions positives chez les résidents, confirme la psychologue de l’établissement. Ils ont pu vraiment tisser du lien social. Ça leur a permis de mieux se connaître.” La technologie donne un sujet de conversation commun aux résidents, qui ont parfois des difficultés à se socialiser. Elle incite à la prise de parole et au partage des anecdotes de leur histoire de vie.
Parmi les programmes à la disposition de Camille Blanquart, le module Évasion de la solution Lumeen a été le plus porteur. Il permet de faire vivre aux résidents des expériences extraordinaires en France et à l’étranger : champs de lavande en Provence, cerisiers en fleurs au Japon, nage avec les dauphins, aurores boréales en Alaska… En plus de l’immersion dans les casques, des contenus de médiation sont proposés. Des annotations permettent au soignant d’indiquer les centres d’intérêts aux participants (“regardez la statue sur votre droite”). “Cet outil permet de stimuler les fonctions motrices, puisque les résidents peuvent bouger la tête à gauche, à droite, en haut , donc c’est super !” raconte Camille Blanquart. Un quizz de restitution, à la fin de chaque expérience, incite également à l’échange. “Les questions de ce module permettent de faire parler les résidents entre eux et de stimuler leur mémoire autobiographique, confirme-t-elle. Même moi, il y a beaucoup de choses que j’ai appris à propos des résidents grâce aux séances de réalité virtuelle ! L’outil devient un véritable vecteur d’échange, entre les résidents mais aussi avec le professionnel de santé.
D’autres protocoles pour tester l'efficacité de la réalité virtuelle sont en cours à l’EHPAD Parc de Mougins, notamment sur des résidents souffrant d’anxiété et d’aphasie. Prochainement, l’équipe prévoit également d’utiliser la réalité virtuelle pour détourner l’attention lors des soins douloureux. “En collaboration avec une personne réalisant une thèse sur ce sujet, j’aimerais aussi l’utiliser pour des personnes ayant d’autres pathologies” confie la psychologue.
La réalité virtuelle en EHPAD ? Un paradoxe surprenant, mais qui fait l’unanimité ! La psychologue nous explique qu’il est essentiel de commencer par une psychoéducation à propos du casque de réalité virtuelle. “Il est important de sensibiliser les résidents, de les rassurer et de leur montrer qu’à n’importe quel moment, ils peuvent retirer le casque s’ils le souhaitent. J’essaie de faire en sorte qu’ils soient vraiment acteurs de cette séance, confirme Camille Blanquart. Je leur demande de choisir le paysage qui leur plaît, le lieu qu’ils ont envie de parcourir.”
Une fois la technologie comprise et acceptée, les résidents en redemandent ! “J’ai été agréablement surprise de voir l'adhésion très facile et rapide à cette nouvelle technologie. Je trouve ça super de pouvoir intégrer les nouvelles technologies dans les EHPAD.” D’autant plus que l’outil a été pensé pour rendre cette technologie facilement accessible aux professionnels de santé. L’ensemble du matériel est inclus dans une valise clé en main. Une tablette permet au soignant de piloter ce qui est diffusé dans les casques. Les seniors n’ont aucune manipulation à réaliser et profitent juste de l’expérience.
Les équipes soignantes sont soumises à un fort stress au quotidien. Elles étaient en première ligne durant la pandémie. Elles peuvent être confrontées à des résidents dont la prise en charge s'avère difficile. Camille Blanquart part du principe que si elle offre à ces équipes un espace de détente, elles accompagneront d’autant mieux leurs patients. “J'ai pu tester une séance avec une élève infirmière et une aide-soignante, nous confie-t-elle. Elles m’ont dit que cette séance les avait beaucoup apaisées. Je suis très contente de leur offrir cet espace d’apaisement.”
Les résidents en EHPAD ont beaucoup souffert du confinement et de la pandémie. Beaucoup se sont plaints de ne plus pouvoir sortir (visites écourtées ou supprimées, plus de sorties en extérieur, temps collectifs réduits…). Les ateliers de réalité virtuelle, au-delà de leurs bienfaits thérapeutiques, permettent simplement aux résidents de penser à autre chose et de s’évader un peu hors des murs de leur établissement. “C’est un bonheur pour moi de leur offrir la possibilité de voyager un petit peu malgré les restrictions sanitaires.” termine Camille Blanquart.