05/2024
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Sanitaire

La réalité virtuelle dans la prise en charge de la douleur : exploration théorique et clinique

Estelle Bonin
Estelle Bonin
Chargée d'études cliniques

Les cas d’usage de la réalité virtuelle ne se limitent pas aux jeux vidéo et à l'industrie du divertissement. Ces dernières années, l’usage de la réalité virtuelle s'est considérablement développée dans le secteur médical, notamment en tant qu'outil prometteur pour la gestion de la douleur et de l’anxiété.

À travers cet article, nous allons décrire de façon simplifiée comment la réalité virtuelle permet de moduler la perception de la douleur. Nous présenterons ensuite les études cliniques les plus représentatives ainsi que des applications pratiques concrètes. Vous découvrirez pourquoi et comment cette technologie impacte positivement la vie de milliers de patients à travers le monde.

La réalité virtuelle : une puissante distraction contre la douleur

Pour comprendre comment se module la douleur, nous allons nous appuyer sur la théorie du portillon (“Gate control theory” en anglais), proposée par Ronald Melzack et Patrick D. Wall en 1965 [1], [2]. Cette théorie suggère qu'il existe un "système de portes" dans la moelle épinière qui permet de décider si les signaux de douleur sont suffisamment importants pour être transmis au cerveau. Plusieurs facteurs peuvent influencer l'ouverture et la fermeture de ces portes :

  • L'intensité du signal : Un signal plus fort à plus de chances de franchir les portes.
  • L'état émotionnel : Le stress, l'anxiété et la peur peuvent ouvrir les portes et amplifier la douleur.
  • Les médicaments : Certains médicaments, comme les analgésiques, agissent en fermant les portes ou en bloquant les signaux de douleur au niveau du thalamus (une région dans le cerveau impliquée dans le traitement du signal douloureux).
  • Les distractions : Lorsqu’un stimulus sensoriel (tactile, auditif, visuel, etc.) attire notre attention, celui-ci rentre en compétition avec le stimulus douloureux. Ces stimuli sensoriels arrivent plus rapidement au cerveau, ce qui va impacter le traitement du signal douloureux. En d'autres termes, le nouveau stimulus "ferme partiellement la porte" au signal douloureux, réduisant ainsi sa perception.

Ces dernières années, l’usage de la réalité virtuelle s’est démocratisé dans le secteur hospitalier, car les casques se sont révélés être des outils particulièrement efficaces pour agir comme distracteur pour détourner l’attention de la douleur. Une étude de neuroimagerie a d’ailleurs permis de mettre en évidence une réduction de l’activité cérébrale des régions impliquées dans la perception de la douleur lors de séances de réalité virtuelle (Figure 1) [3].

Figure 1 : L'activité cérébrale liée à une douleur induite expérimentalement est réduite pendant les séances de réalité virtuelle immersive (VR) par rapport à la condition contrôle (no VR) [3].

Pourquoi la réalité virtuelle est-elle si efficace pour détourner l’attention de la douleur ? Les casques VR ont un potentiel analgésique important, car ils offrent des expériences riches et captivantes qui sollicitent fortement les capacités attentionnelles des patients. Les expériences les plus efficaces, telles que celles proposées par Lumeen, intègrent plusieurs concepts pour optimiser le potentiel de distraction :

  • Stimulations sensorielles multimodales : Les casques combinent des stimuli visuels et auditifs.
  • Sentiment de présence : permet à l'utilisateur de se sentir immergé dans l'environnement virtuel, comme s'il y était réellement. Cela crée une expérience plus réaliste et engagée.
  • Narratifs captivants : Un scénario immersif engageant peut transporter le patient hors de sa réalité et l'absorber dans l'histoire.
  • Activités interactives : Intégrer des interactions et des défis dans l'expérience VR encourage le patient à s'engager activement et à focaliser son attention. Cela peut inclure des jeux, des interactions avec des personnages virtuels ou des environnements dynamiques.
  • Hypnose médicale, cohérence cardiaque et musicothérapie : l’intégration d’un accompagnement verbal hypnotique, d’exercices de cohérence cardiaque et de musiques apaisantes permet d’agir sur le niveau d’anxiété et de douleur.

Nos expériences Cayceo combinent tous ces concepts et permettent même de déclencher des stimuli pour amplifier le détournement d’attention au moment fatidique, lorsque l’on s’apprête à faire une piqûre, une ponction, une incision… cliquez ici pour en apprendre plus.

La théorie du portillon, simplifiée dans cet article, permet de comprendre que la douleur n'est pas une simple perception passive, mais un processus complexe influencé par des facteurs physiques et psychologiques. Il est important de noter que cette théorie a été développée en 1965 et a depuis fait l'objet de recherches approfondies. Des théories plus récentes de la douleur prennent en compte des mécanismes plus complexes, mais l'idée fondamentale des portes reste un outil utile pour comprendre la modulation de la douleur (voir la section “Pour aller plus loin”).

La réalité virtuelle comme outil de gestion de la douleur pendant les soins : preuves et applications cliniques

Que dit la recherche ?

Parmi les applications de la réalité virtuelle en santé, la distraction pour réduire la douleur lors des soins hospitaliers est la plus étudiée depuis deux décennies. En 2000, Hoffman et son équipe, précurseurs dans ce domaine, entreprennent d'explorer le potentiel analgésique de la réalité virtuelle [4]. Pour cela, ils ont proposé à 12 patients brûlés (21 % de la surface corporelle touchée en moyenne) de participer à des séances de rééducation motrice avec et sans réalité virtuelle. L’expérience de réalité virtuelle employée dans cette étude prenait la forme d'un jeu interactif nommé "Snow World", plongeant les patients dans un environnement enneigé en images de synthèse. Les résultats indiquaient une diminution notable de l'intensité de la douleur dans la condition de réalité virtuelle immersive par rapport à une condition sans réalité virtuelle. D’autres études préliminaires ont permis de démontrer l'efficacité de la réalité virtuelle pour réduire la douleur chez les patients subissant des procédures médicales telles que les soins des plaies et la physiothérapie. Ces études ont notamment révélé que les patients ressentaient une diminution de la douleur de 35 à 50 % lors des séances de réalité virtuelle par rapport aux traitements habituels sans réalité virtuelle [5].

Cette première étude d’Hoffman et ses collaborateurs a contribué à l'augmentation notable de la recherche sur la réalité virtuelle dans le domaine de la santé, particulièrement au cours des cinq dernières années (Figure 2). 

Figure 2 : Évolution du nombre de publications scientifiques répertoriées dans la base de données PubMed lorsque l’on utilise les mots clefs “réalité virtuelle” et “douleur”.

Par la suite, de nombreuses études se sont intéressées aux bienfaits de la réalité virtuelle en tant que traitement complémentaire non pharmacologique de la douleur. La technologie a démontré une efficacité sur la réduction de la consommation médicamenteuse dans de nombreux parcours de soins, pouvant aller jusqu’à 40 % de la consommation d’opioïdes [6].

Chez les enfants et adolescents, la réalité virtuelle a été évaluée pour la prise en charge de la douleur dans plusieurs contextes : soins dentaires, soin des brûlures, oncologie, piqûres (vaccins, prise de sang, etc.). Une revue systématique et méta-analyse a conclu que la réalité virtuelle utilisée comme distraction au cours de procédures médicales en pédiatrie permettait une prise en charge efficace de la douleur induite par les soins [7]. Chez l’adulte, la réalité virtuelle est également beaucoup utilisée pour soulager la douleur aigüe ressentie lors de procédure de soins ou pendant et après une opération. Utilisée seule ou en complément d’un analgésique, la réalité virtuelle immersive a particulièrement fait ses preuves dans les cas des soins de plaies et brûlures et des insertions d’aiguilles et de cathéters [8].

La réalité virtuelle peut également aider à la prise en charge de la douleur chronique. Une revue de littérature de 2021 a mis en évidence que cette technologie pouvait constituer une alternative aux antalgiques dans la prise en charge des douleurs de dos [9]. Une autre étude portant sur 80 femmes atteintes d’un cancer du sein a montré qu’une séance de réalité virtuelle immersive (utilisée en complément de l’usage de morphine), permettait de réduire significativement la douleur chronique associée au cancer en comparaison à un usage de morphine seule [10].

Réalité virtuelle et douleur : les applications dans le secteur médical

Dans le secteur médical, la réalité virtuelle est actuellement utilisée en tant qu’outil thérapeutique pour la gestion de la douleur dans une variété de contexte :

  • Soulagement de la douleur chronique,
  • Traitement des douleurs post-opératoires,
  • Distraction pendant des procédures médicales douloureuses, telles que :
    1. Le changement de pansements, de brûlures ou de plaies
    2. Les piqûres et injections veineuses,
    3. Les soins dentaires,
    4. Les accouchements et autres actes gynécologiques,
    5. Certains actes chirurgicaux (ex : pose de chambre implantable, biopsie, bronchoscopie, etc.).
  • Lors des sessions de physiothérapie, en aidant les patients à se concentrer sur des mouvements spécifiques tout en minimisant la perception de la douleur.

À noter qu’il existe également d'autres cas usages de la réalité virtuelle dans le secteur médical tels que : la prise en charge des phobies, la formation des soignants, la sensibilisation, l’éducation thérapeutique ainsi l’atténuation de l'anxiété préopératoire.

Le message à retenir

La réalité virtuelle s'impose comme un outil thérapeutique innovant et prometteur dans la lutte contre la douleur : 

  • En offrant une alternative non médicamenteuse efficace et bénéfique pour les patients,
  • En agissant sur les mécanismes de la perception de la douleur, elle permet de réduire l'intensité de la douleur ressentie, d'améliorer le confort des patients et de diminuer leur recours aux analgésiques,
  • En proposant un champ d'application qui s'étend à une large variété de situations douloureuses,
  • En ouvrant de nouvelles perspectives dans la prise en charge des patients grâce à une approche thérapeutique immersive, personnalisée et engageante.

Pour en apprendre plus sur nos solutions de réalité virtuelle clé en mains pour la gestion de la douleur, visitez notre page dédiée.

Pour aller plus loin

Neurobiologie de la douleur :

La théorie du portillon :

Les différentes théories de la douleur :

Références

[1] R. Melzack et P. D. Wall, « Pain Mechanisms: A New Theory: A gate control system modulates sensory input from the skin before it evokes pain perception and response. », Science, vol. 150, no 3699, p. 971‑979, nov. 1965, doi: 10.1126/science.150.3699.971.

[2] M. Moayedi et K. D. Davis, « Theories of pain: from specificity to gate control », J. Neurophysiol., vol. 109, no 1, p. 5‑12, janv. 2013, doi: 10.1152/jn.00457.2012.

[3] H. G. Hoffman et al., « Modulation of thermal pain-related brain activity with virtual reality: evidence from fMRI »:, NeuroReport, vol. 15, no 8, p. 1245‑1248, juin 2004, doi: 10.1097/01.wnr.0000127826.73576.91.

[4] H. G. Hoffman, D. R. Patterson, et G. J. Carrougher, « Use of Virtual Reality for Adjunctive Treatment of Adult Burn Pain During Physical Therapy: A Controlled Study »:, Clin. J. Pain, vol. 16, no 3, p. 244‑250, sept. 2000, doi: 10.1097/00002508-200009000-00010.

[5] H. G. Hoffman et al., « Virtual Reality as an Adjunctive Non-pharmacologic Analgesic for Acute Burn Pain During Medical Procedures », Ann. Behav. Med., vol. 41, no 2, p. 183‑191, avr. 2011, doi: 10.1007/s12160-010-9248-7.

[6] T. McSherry, M. Atterbury, S. Gartner, E. Helmold, D. M. Searles, et C. Schulman, « Randomized, Crossover Study of Immersive Virtual Reality to Decrease Opioid Use During Painful Wound Care Procedures in Adults »:, J. Burn Care Res., p. 1, mai 2017, doi: 10.1097/BCR.0000000000000589.

[7] R. Eijlers et al., « Meta-analysis: systematic review and meta-analysis of virtual reality in pediatrics: effects on pain and anxiety », Anesth. Analg., vol. 129, no 5, p. 1344, 2019, doi: 10.1213/ANE.0000000000004165.

[8] Q. Huang, J. Lin, R. Han, C. Peng, et A. Huang, « Using Virtual Reality Exposure Therapy in Pain Management: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials », Value Health, vol. 25, no 2, p. 288‑301, févr. 2022, doi: 10.1016/j.jval.2021.04.1285.

[9] C. Tack, « Virtual reality and chronic low back pain », Disabil. Rehabil. Assist. Technol., vol. 16, no 6, p. 637‑645, août 2021, doi: 10.1080/17483107.2019.1688399.

[10] E. Bani Mohammad et M. Ahmad, « Virtual reality as a distraction technique for pain and anxiety among patients with breast cancer: A randomized control trial », Palliat. Support. Care, vol. 17, no 1, p. 29‑34, févr. 2019, doi: 10.1017/S1478951518000639.

Crédit photo : Coline Bachelier

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